Le Général de Gaulle règle la question turque

« Vers l'Orient compliqué, je volais avec des idées simples »

Mémoires de guerre

Nous avons démontré dans 7 articles précédents[1] l’influence considérable du Général de Gaulle au niveau de la gouvernance mondiale depuis juin 1940 : il a restauré la grandeur de la France, il a scellé la coopération entre la France et l’Allemagne et il les a inspiré à choisir la voie de la Paix lors du conflit irakien.

Bien qu’à son époque on ne parlait pas encore de mondialisation, le Général avait une vision précise de cette évolution des nations et des peuples. Contrairement à l’opinion couramment répandue, il avait également une vision très fédératrice de la construction européenne. Sa première allusion à l’Europe dans ses mémoires d’espoir est sans équivoque. On ne peut être plus clair.

« Pour moi j’ai, de tous temps, mais aujourd’hui plus que jamais ressenti ce qu’ont en commun les nations qui la peuplent. Toutes étant de même race blanche, de même origine chrétienne, de même manière de vivre, liées entre elles depuis toujours par d’innombrables relations, d’art, de science, de politique, de commerce, il est conforme à leur nature qu’elles en viennent à former un tout, ayant au milieu du monde son caractère et son organisation. »

Aujourd’hui la mondialisation s’accélère. Elle engendrera inéluctablement un gouvernement mondial, une langue mondiale et une religion mondiale.

Dans cette course au leadership, l’Europe, si elle continue à se construire intelligemment devrait jouer un rôle de premier plan ; la genèse de la gouvernance mondiale peut être attribuée à Valéry Giscard d’Estaing[2], cinq continents sur six parlent une langue d’origine européenne et l’héritage du Christ est géré depuis Rome.

Dans cette perspective, la question de l’adhésion de la Turquie revêt une importance géopolitique primordiale. Au départ de l’Europe, l’Occident et l’Orient peuvent-ils s’entendre pour gérer le Monde ? Le choc des civilisations cher à Samuel P.Huntington est-il évitable ?

Pour nous gaullistes, il est intéressant de réfléchir à la façon dont le Général de Gaulle aurait pu régler la question de l’adhésion de la Turquie.

La lecture de ses mémoires nous inspire la réponse. Elle nous replonge au cœur du conflit entre Israël et les pays arabes, entre un certain Occident et un certain Orient, au cœur des malentendus entre les enfants du Christ et les enfants de Mahomet.

« Bien que la France n’ait pas, dans la forme, participé à la création d’Israël né d’une décision conjointe des Britanniques, des Américains et des Soviétiques, elle l’a chaudement approuvée.

La grandeur d’une entreprise, qui consiste à replacer un peuple juif disposant de lui-même sur une terre marquée par sa fabuleuse histoire et qu’il possédait il y a dix-neuf siècles, ne peut manquer de me séduire Humainement, je tiens pour satisfaisant qu’il retrouve un foyer national et je vois là une sorte de compensation à tant de souffrances endurées au long des âges et portées au pire lors des massacres perpétrés par l’Allemagne d’Hitler. Mais, si l’existence d’Israël me paraît très justifiée, j’estime que beaucoup de prudence s’impose à lui à l’égard des Arabes. Ceux-ci sont ses voisins et le sont pour toujours. C’est à leur détriment et sur leurs terres qu’il vient de s’installer souverainement. Par là, il les a blessés dans tout ce que leur religion et leur fierté ont de plus sensible. C’est pourquoi, quand Ben Gourion me parle de son projet d’implanter quatre ou cinq millions de Juifs en Israël qui, tel qu’il est, ne pourrait les contenir et que ses propos me révèlent son intention d’étendre les frontières dès que s’offrirait l’occasion, je l’invite à ne pas le faire. « La France » lui dis-je, « vous aidera demain, comme elle vous a aidé hier, à vous maintenir quoi qu’il arrive. Mais elle n’est pas disposée à vous fournir les moyens de conquérir de nouveaux territoires. Vous avez réussi un tour de force.

Maintenant, n’exagérez pas ! Faites taire l’orgueil qui, suivant Eschyle, « est le fils du bonheur et dévore son père ». Plutôt que d’écouter des ambitions qui jetteraient l’Orient dans d’affreuses secousses et vous feraient perdre peu à peu les sympathies internationales, consacrez-vous à poursuivre l’étonnante mise en valeur d’une contrée naguère désertique et à nouer avec vos voisins des rapports qui, de longtemps, ne seront que d’utilité »

Ces propos nous confortent dans l’idée qu’il aurait choisi une voie toute empreinte de paix. L’exercice reste toutefois fort délicat et la réponse est-elle du moins conforme à notre intime conviction au Rassemblement pour l’Europe.

Il est essentiel de distinguer la dimension économique et la dimension politique.

Sur le plan économique, le Général n’aurait certainement pas été opposé à faire bénéficier nos amis turcs de tous les bienfaits de la construction européenne. Ainsi, ils pourraient adopter comme monnaie l’euro, les marchés des marchandises, des services, des capitaux et des travailleurs pourraient s’ouvrir et les différents peuples de l’Europe et de la Turquie pourraient mutuellement s’enrichir en vertu de la célèbre théorie des coûts comparatifs de David Ricardo.

Le Général de Gaulle aurait été beaucoup plus exigeant sur le plan politique et aurait très certainement posé un certain nombre de conditions incontournables. Le sort d’une moitié de l’humanité, à savoir les femmes, lui tenait trop à cœur. N’oublions jamais qu’il fut à l’origine de l’octroi du droit de vote féminin et que les femmes françaises lui doivent leur émancipation. Le grand humaniste devait être scandalisé par des pratiques moyenâgeuses et barbares tels que la lapidation et les crimes d’honneur. Il aurait exigé une révolution copernicienne dans certaines mentalités. Une des ces évolutions aurait très certainement été la dépénalisation de l’adultère. Toutefois loin d’imposer des idées simples, et parfois simplistes, à un Orient tout en nuance il aurait probablement choisi une voie de compromis en grand Rassembleur qu’il était.

Nous prendrons deux exemples pour illustrer notre propos.

La sacro-sainte institution du mariage est écartelée entre un Occident qui impose la fidélité entre un homme et une femme comme vérité dogmatique et un Orient qui autorise la polygamie. Notre code civil prévoit, en son article 213, que les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance. Pourquoi ne pas instituer que les époux se doivent mutuellement secours et assistance et que l’infidélité est cause de divorce. Le statut de la femme serait ainsi protégé tout en y associant les nuances de l’Orient.

Autre exemple, certains occidentaux définissent un axe du mal parmi certaines nations en s’arrogeant la prétention d’incarner le bien. Nous pensons comme Louis Michel dans son ouvrage L’axe du bien que « la diabolisation de régimes que l’on réunit sous « un axe du mal » n’est pas le meilleur moyen de contribuer à la paix dans le monde ». Bien sûr, il y a le bien et le mal, le noir et le blanc, le yin et le yon mais la philosophie orientale est à nouveau plus nuancée en envisageant une dimension entre le bien et le mal, un gris entre le noir et le blanc.

Il aurait toutefois certainement été intransigeant sur certains dossiers de la question turque : la fin de toutes persécutions et principalement celles concernant le peuple kurde et la reconnaissance (peut-être à attribuer aux Illuminatis) du génocide arménien. Dans son esprit, aucun progrès de l’humanité ne pouvait se faire sans le respect le plus absolu de la Vérité.

Enfin, en sincère démocrate qu’il était, il aurait soumis la décision finale à l’approbation du peuple par voie de référendum mais en n’associant plus son sort à celui du résultat du vote. En cas de non majoritaire, il aurait sans doute adopté une attitude plus nuancée à l’orientale en respectant la voix du Peuple mais en restant au Pouvoir.

[1] Voir Grandeur numéros 88, 90, 93, 94, 95 et 96
[2] Le premier sommet des pays industrialisés eut lieu au château de Rambouillet le 17 novembre 1975

Jean-Marie BRUNEEL
Le Rassemblement pour l'Europe
La Bruyère

Avril 2005