La construction européenne : des noms pour l'histoire

Jean Monnet juge Charles de Gaulle

Se taire et écouter
Baudouin Ier, roi des Belges

Dans un article précédent (Grandeur n° 88 Mars 2003) nous démontrions l’influence considérable qu’exerce le Général de Gaulle dans la nouvelle gouvernance mondiale.

Il a inspiré le couple franco-allemand à choisir la voie de la Paix dans le conflit irakien et à poursuivre les inspections pour contrôler intelligemment Saddam Hussein. Cette rencontre des grandes inspirations, ce 22 janvier 2003, à Paris, 40 ans après le traité de l’Elysée nous avait suggéré le titre de notre article : le Général De Gaulle, premier président de l’Europe. En effet, il s’agit très probablement d’un moment historique dans le réaménagement des positionnements au sein du concert des nations après le long épisode de la guerre froide et de l’opposition du bloc de l’est et de l’ouest.

Si le caractère volontaire du Général nous fait penser sans hésiter à son rôle de président nous serions beaucoup plus réservé à lui faire jouer celui d’architecte de la construction européenne. Deux regards sont intéressants à analyser à ce propos : celui de Jean Monnet et celui de Laurent de Boissieu , auteur d’une très bonne étude sur le gaullisme et l’Europe : Une certaine idée de l'Europe.

Laurent de Boissieu nous apprend que l’idée que le Général se fait de l’Europe est loin d’être cohérente, même une fois arrivé à un âge de raison politique, soit bien après juin 1940.

Ainsi, au début de la 4ème République, Charles de Gaulle n’est pas opposé à une Europe supranationale et préconise l’organisation d’un référendum permettant à un organisme constituant, formé des délégations de toutes les nations, d’organiser une confédération européenne. Il envisage sans équivoque des transferts de souveraineté dans des domaines aussi cruciaux que la défense, la politique économique, le commerce extérieur et la monnaie.

Monsieur de Boissieu nous montre également, au travers des discours du Général, qu’il confond allègrement les termes de « confédération » et de « fédération ».

Le titre de la conclusion de cette étude est sans équivoque : l’impasse européenne du gaullisme ?

Notons toutefois qu’il est assorti d’un point d’interrogation. L’auteur reste très nuancé reconnaissant au Général un rôle positif, essentiellement la réconciliation franco-allemande et un rôle négatif, les avatars de la politique de la chaise vide et les atermoiements fédéralistes et confédéralistes.

Jean Monnet, par le privilège de sa carrière exceptionnelle, peut se permettre de juger le Général au moment de toutes ses rencontres avec l’Histoire et avec le regard d'un, et peut-être du, fondateur de l'Europe. Jean Monnet est souvent très critique à l’égard du Général au fil de ses mémoires.

Gardons toutefois à l’esprit qu’en juin 1940, ce fameux mois de juin qui a vu naître le Général, Jean Monnet n’a certainement pas eu ce qu’il appelle « le sens du moment » en proposant dans la débandade une fusion complète entre la France et l’Angleterre : même parlement, même armée, même commandement.

L’expérience nous a appris que « obtenir une parole » dans la précipitation ne permettait jamais de porter un projet à maturité dans la sérénité. Le succès de la construction européenne résulte certainement du libre consentement des gouvernants et des peuples dans toute la pesante quiétude du processus démocratique.

Sans oublier cette supériorité du Général de Gaulle dans les moments où tout était possible et où se posaient les rails du futur, examinons les jugements de Jean Monnet.

A propos de la lutte pour le Pouvoir entre Giraud et De Gaulle : « C’est le moment que choisit De Gaulle pour dramatiser selon sa manière une situation qui d’elle-même évoluait favorablement »

A propos du plan Schuman de création de la Ceca : « Dès le début De Gaulle avait condamné le plan : « On propose un méli-mélo de charbon et d’acier sans savoir où l’on va aller » »

A propos du plan Fouchet « Pourtant aucune histoire ne devait être plus trouble que celle de cette commission composée d’hommes capables et bien intentionnés mais soumis à des directives nationales marquées par l’ambiguité »

Le jugement final est une merveille digne de figurer parmi les plus belles pages de l’anthologie de l’histoire de l’Humanité. Il rencontre pour l’essentiel, mais en moins sévère, celui de Paul- Henri Spaak.

« La décision prise par De Gaulle de quitter le pouvoir en avril 1969 après l’échec d’un référendum inutile fut un acte sage et empreint de grandeur. Aucune force, sinon celle de sa volonté ne pouvait le contraindre à se retirer. Il semble qu’il ait choisi son heure qui était encore celle de la pleine lucidité et du contrôle de soi. Il laissait à la France des institutions solides et il avait su faire légitimer par le suffrage universel, pour lui et ses successeurs, une autorité qu’il tenait des circonstances.
Ces circonstances nées des heurts de la décolonisation, ils les avaient utilisées onze ans plus tôt pour établir son pouvoir, puis maîtrisées pour rétablir l’unité française un instant menacée. Nous lui devons cela. Mais en le voyant partir, c’est vers l’homme de 1940 qu’aillaient mes pensées.
Jamais il n’avait été aussi grand que dans le refus de la défaite dans l’appel à la résistance.
L’histoire retiendrait qu’il avait rendu aux Français leur dignité, qu’il les avait rétablis dans leur grandeur passée. J’avais espéré qu’il comprendrait que cette grandeur ne se perpétuerait pas sans une profonde transformation des données du passé, sans un dépassement du cadre national. Mais je dus me rendre à l’évidence, il croyait que l’Europe se ferait autour de la France et n’imaginait pas de délégation de souveraineté. Une communauté de peuples qui ne serait pas bâtie sur des règles et des institutions communes et dans l’égalité, quelle illusion et combien on comprend le désenchantement que de Gaulle manifesta à la fin de sa vie sur cette partie de son oeuvre qu’il n’avait pas réussie à la dimension de son destin.
S’il n’avait pu réaliser l’Europe qu’il voulait, du moins n’avait-il pu empêcher de se développer celle à laquelle il ne croyait pas.

En somme, le Général de Gaulle n’aura pas réussi sa sortie. Ne confessait-il pas en parlant du peuple des Français dont il se voulait l’incarnation : « Ils m’ont tué ».

Et Dieu, ou Dieu sait qui, ne lui laissa pas le temps de terminer ses mémoires dont les trois derniers mots écrits sont « pertes dans l’élection ».

Troublant pour un chantre du Pouvoir par le Peuple et pour le Peuple.

J-M. BRUNEEL
Le Rassemblement pour l’Europe
La Bruyère

Août 2003